23
Judith
Il n’est pas venu chez moi, la fois suivante. On s’est retrouvés dans un quatre-étoiles derrière les Champs. J’étais dans l’état de quelqu’un qui a traversé le désert sans boire une goutte d’eau et qui atteint enfin l’oasis. Et j’attendais avec une impatience difficilement contrôlable la première gorgée. J’avais peu de temps, trop peu de temps à mon goût, trois malheureuses petites heures qui avaient à peine étanché ma soif.
Irène m’a appelée tard dans la nuit, m’extirpant d’un rêve dont j’oubliai le contenu dès mon réveil, avec la sensation qu’il devait être agréable. Elle avait quelque chose d’important à m’annoncer, et avait zappé les fuseaux horaires. Ils allaient se marier, Jim et elle. Ça aurait lieu dans deux jours et elle voulait savoir, si éventuellement…
Je pouvais partir le lendemain. Au son de sa voix, je l’ai sentie inquiète. Je lui ai dit que tant qu’à faire une connerie, il fallait la faire vite, en évitant si possible les corvées annexes, invités, réception, famille, etc. Et là, toutes les conditions étaient réunies. Elle s’est mise à rire, déculpabilisée. Je lui ai souhaité tout le bonheur du monde, et de nouveau il y a eu de l’inquiétude dans sa voix :
— Et toi ? Ça va ?
— Très bien, parfaitement bien. J’ai flirté avec un inventeur fou, extrêmement séduisant.
Je n’ai jamais rencontré au cours de mes années de travail d’inventeur fou séduisant, mais je me sentais d’humeur joyeuse, et celui-ci avait jailli de mon imagination, telle l’ampoule s’allumant au-dessus de la tête de Géo Trouvetou.
Une fois la surprise passée, la nouvelle l’a enthousiasmée, elle voulait tout savoir de cet inventeur inventé. Elle m’a demandé son âge, j’ai dit dans les quarante-cinq, son nom, en face de moi j’avais un bouquin sur Cocteau, dont la couverture s’ornait du masque de la Bête, alors j’ai dit Marais, le prénom est venu très vite, Jean-Michel. Le personnage commençait à se dessiner au fur et à mesure des questions d’Irène.
J’ai tempéré en précisant que c’était juste comme ça, qu’il n’y avait absolument rien de concret, qu’il était charmant, mais que je doutais que ça aille plus loin. J’ai rarement menti à ma sœur. Je mens rarement, non par vertu, mais par commodité. Mais je savais que ce Jean-Michel Marais lui donnait un peu d’espoir quant à l’avenir sentimental de sa petite sœur. Je me suis rendormie avec la tranquillité d’esprit de quelqu’un qui vient de faire une bonne action.